L’oeil du DAF #1 – Laurent Michelet, DAF chez Matera

Comptabilité

L’oeil du DAF #1 – Laurent Michelet, DAF chez Matera

Laurent Michelet est DAF chez Matera, la startup française qui permet aux copropriétaires de reprendre la main sur leur copro et de la gérer de façon autonome, sans avoir besoin de passer par un syndic.

Nous l’avons rencontré alors que Matera vient de lever 35 M€ pour accélérer sa croissance. Rôle du DAF dans une startup, importance de la levée de fonds dans un contexte d’hyper-croissance, culture d’entreprise… Nous avons abordé tous les sujets qui sont au cœur de l’écosystème et qui font la réussite (ou l’échec) des startups.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu peux retracer ton parcours professionnel ? Tu as toujours fait de la finance ?

Quand j’ai été diplômé d’HEC, j’ai eu envie de faire du M&A. Le conseil est une très bonne porte d’entrée pour voir différentes situations d’entreprises, dans différents secteurs d’activités. Ça permet aussi d’acquérir une excellente technicité financière dans un environnement exigeant.

Après quelques années, j’ai eu envie de m’investir dans des choses plus concrètes et de me lancer de nouveaux défis. Je me suis donc investi dans un rôle plus entrepreneurial, de « Country manager », pour lancer la filiale française d’une start-up belge. C’était une super expérience très opérationnelle, dans une boîte non financée, donc avec peu de ressources. Il fallait tout gérer de front et prendre des raccourcis, ce qui était très différent du conseil.

Après cette expérience, je suis revenu à des missions de « Corporate Finance ». J’ai passé 4 ans chez Deezer où je m’occupais du M&A et de la stratégie, des levées de fonds et relations avec les investisseurs, ainsi que des partenariats stratégiques.

Enfin, avant d’arriver chez Matera, j’ai occupé le poste de CFO/COO chez Soundcharts. Il s’agit d’une plateforme de market intelligence pour les professionnels de la musique, qui avait levé 3M€. Je gérais la finance, les RH et les sales.

Je vois que tu es passé par plusieurs start-ups, Deezer, Soundcharts et donc Matera. Quel est pour toi le rôle du DAF aujourd’hui et particulièrement dans ce type de structure ?

Historiquement, on imaginait le DAF comme la personne qui construit le reporting financier. Et c’était plutôt vrai pour le DAF « à l’ancienne », avec un profil très comptable.

Aujourd’hui, le rôle a vraiment évolué, il est de plus en plus large. Je dirais que la mission c’est de veiller à la bonne allocation des ressources (recrutements, investissements marketing, choix des projets stratégiques comme le lancement de nouveaux pays ou de nouvelles offres). Il faut avant tout veiller à l’efficacité opérationnelle.

La comptabilité et les reportings sont devenus des inputs plus que des outputs… Aujourd’hui, la construction des données à moins de valeur, avec tous les outils SaaS qui existent, et donc on est plutôt dans l’analyse des données pour en tirer la plus grande valeur. Le but c’est de faire en sorte que la croissance soit saine, et que les investissements se fassent au bon endroit.

Parce que, même si c’est un peu controversé de le dire comme cela, l’objectif dans les start-ups aujourd’hui, c’est de maximiser la valorisation. C’est ça qui va permettre d’avoir plus de ressources au final.

A la fin tout le monde qui y gagne. Les clients sont mieux servis, avec de nouveaux produits et un meilleur service. De leur côté, les employés y gagnent aussi. Chez Matera, tous les employés sont actionnaires, avec un système de BSPCE. Donc ils gagnent aussi à la croissance de l’entreprise et c’est une des valeurs que nous défendons.

Le seul problème dans tout ça, c’est que valoriser les start-ups uniquement sur la base de la croissance du chiffre d’affaires, comme c’est le cas aujourd’hui, peut faire prendre des raccourcis sur le plan humain : trop de recrutements, pressurisation des équipes, turnover, etc. Il faut donc y faire attention.

A ce sujet, je pense que les investisseurs ont un rôle vraiment important en terme sociétal. Evidemment, il faut de la croissance. Mais il ne faut pas oublier les enjeux humains, qui devraient faire partie des critères d’investissement et qui sont aujourd’hui mis de côté. Dans les startups, ça peut aussi être un des rôles du DAF de faire passer ces messages-là.

Justement, vous avez récemment annoncé une très belle levée de fonds, 35 M€, est-ce que tu peux m’en dire un peu plus ? Dans quel but ?

Comme je le disais juste avant, le premier objectif est d’offrir un service de meilleure qualité à nos clients. Et évidemment faire connaître notre service et accélérer la croissance. Nous allons aussi nous lancer en Allemagne.

Quel est le rôle du DAF dans ce type de dossier ?

Je dirais que, dans le cadre d’une levée de fonds, le CEO raconte une histoire, il va parler de la création de l’entreprise, de l’équipe, du marché… De son côté, le CFO est co-pilote, il accompagne et met les chiffres en face de son histoire. Il va préparer le Business Plan et calculer les KPI intéressants. Les investisseurs vont très vite vouloir rentrer dans les chiffres, combien tu as besoin de dépenser pour quelle croissance en face. Il faut réussir à montrer que tu es un « actif financier » intéressant et que d’1 euro investi, tu peux en rapporter 100.

On entend beaucoup poser ces questions en ce moment, sur l’importance de lever des fonds pour une start-up. Il y a d’ailleurs un débat qui commence à s’ouvrir sur le sujet. Je pense par exemple à Lemlist qui a récemment publiquement refusé de lever 30 M€ pour revendiquer un modèle différent de réussite. Quel est ton point de vue sur la question ?

Effectivement, dans certains secteurs spécifiques, tu peux faire de l’hyper-croissance sans levée de fonds. Mais c’est très restreint, ce sont des cas marginaux.

Un exemple c’est Vente Privée. C’est assez dingue ce qu’ils ont fait, mais je ne sais pas si ça serait possible aujourd’hui. Avec l’accès facilité aux investisseurs, ils auraient peut-être 3-4 concurrents en face qui lèveraient 50 M€ très rapidement et ils auraient besoin de lever de l’argent pour rester dans la course. Je pense qu’aujourd’hui, avec l’intensité concurrentielle et l’argent disponible sur le marché, tu as besoin de ressources si tu veux prendre le marché rapidement.

Tu as écrit un article intéressant sur la culture d’entreprise chez Matera, où tu parles notamment d’une valeur qui est la transparence. La transparence, qu’est-ce que ça implique au niveau de la DAF ?

Je trouve qu’aujourd’hui, les employés sont de plus en plus preneurs d’informations et ont de la culture financière. Donc il y a désormais un enjeu de communication et de transparence qui est très fort. Je pense aux BSPCE et aux levées de fonds notamment.

C’est aussi intéressant en termes de management. Quand tu expliques les objectifs, les équipes comprennent la finalité des décisions et tout le monde est aligné. S’il faut réorganiser une équipe ou recruter pour un besoin particulier, les gens comprennent les contraintes et les raisons derrière les décisions.

Tu crées ainsi une culture d’adaptation qui est super importante en start-up. Donc l’enjeu de la finance c’est de donner tout ce contexte pour que les gens comprennent les prises de décisions et s’approprient la stratégie et la direction qu’on prend.

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